HAYDN – La Passione

La vie créative et les compositions de Haydn sont toutes axées sur ses années passées à la Cour des Esterházy, la sécurité et les encouragements qu’elles lui ont valus transparaissent dans sa musique et dans le perfectionnement de son style. L’évolution de son talent créateur n’est nulle part aussi évidente que dans ses compositions pour quatuor à cordes et ses symphonies.

Une très grande partie des oeuvres symphoniques de celui qu’on appelle souvent « le père de la symphonie » a été composée durant son séjour à Esterházy.  Nous disons « symphonique », car il s’agit, selon nous, d’un grand concept, tant en termes d’ampleur que de nombre d’exécutants. Haydn, qui n’avait à jouer ses œuvres que devant le duc et sa suite, ne disposait, pour une représentation donnée, que de 14 à 16 musiciens. Ce nombre ne fut augmenté, et dans une mesure très limitée, que durant son séjour à la cour, mais essentiellement, notre concept d’une symphonie de Haydn des années Esterházy diffère grandement de la réalité de son exécution, telle que vécue par Haydn. Arion nous offre ce soir un rare aperçu du monde où a vécu Haydn : avec exactement le même nombre d’interprètes que celui dont il disposait habituellement à la cour, nous jouerons quelques-unes de ses plus remarquables symphonies du milieu de la période. On peut encore les appeler symphonies, mais avec des effectifs aussi modestes, force est de conclure qu’elles sont bien plus proches, de par leur esprit et leur concept, des quatuors à cordes de cette période que, par exemple, les superbes symphonies qu’il composera plus tard à Londres ou à Paris. Le chef d’orchestre Luigi Tomasini fut également l’inspirateur de ses compositions pour quatuor; Haydn était membre de l’orchestre et du quatuor, dont il était deuxième violon.

Toutes les symphonies du programme d’aujourd’hui appartiennent à la période qu’on allait appeler « Sturm und Drang » (c’est-à-dire Tempête et passion, d’après le titre d’une pièce de Friedrich Maximilian von Klinger), qui débuta vers 1765 et dura près de dix ans. Mentionnons, pour remettre cette date en contexte, que Mozart avait alors 9 ans, tandis que Bach était mort depuis 15 ans. Avec des titres tels que Trauer, Lamentatione et La Passione, le ton et l’intention de ces symphonies sont déjà clairs. Par ailleurs, dans le contexte d’œuvres d’autres compositeurs du temps, comme le fils de Bach, Johann Christian (surnommé « le Bach de Londres »), la prédominance des œuvres en tonalité mineure chez Haydn est presque unique en son genre – Bach, par exemple, n’a écrit qu’une seule symphonie en mineur dans toute sa carrière! Nous ne dirions pas nécessairement que Haydn va à contre-courant, mais dès qu’on entrevoit à quel point il était aventureux, inventif et créatif pour son temps, on distingue plus nettement l’influence qu’il a exercée sur Beethoven.

La symphonie no 26, Lamentatione, est une des nombreuses œuvres où Haydn recourt au plain-chant pour créer un effet à la fois inhabituel et mémorable; elle évoque immédiatement la symphonie Alleluia (no 30) qui l’a précédée. À ce stade de la production artistique de Haydn, le traitement, dans cette vingt-sixième, est beaucoup plus subtil, évocateur et, dans le cas de son mouvement central, émouvant. Le second sujet du premier mouvement est un ton de la Passion du Moyen âge, très connu du temps de Haydn et qui fut constamment réimprimé jusque dans les années 1770. Le deuxième mouvement fait appel au chant grégorien Incipit lamentatio, des Lamentations de Jérémie.  Haydn avait une affection particulière pour cette mélodie intemporelle, qu’il devait insérer plus tard dans ses symphonies 45 et 80. Mozart l’a également incorporée dans sa Maurerische Trauermusik. La symphonie se termine par un Menuet austère, agité, bien dans l’esprit de l’impétueux Allegro du début.

La Symphonie no 41 fut composée en 1769, un an après la Symphonie Lamentatione. Des symphonies que nous avons inscrites au programme, c’est la seule qui est en tonalité majeure, ce qui illustre bien le penchant de Haydn à composer la plus grande partie de ses œuvres en mineur à ce stade de sa vie. C’est une œuvre magnifique, avec sa panoplie de trompettes et de timbales et sa flûte solo, en plus des regroupements plus habituels de cordes, de hautbois et de cors. La version que nous présentons aujourd’hui est cependant inédite, mais elle représente les premières idées de Haydn sur cette œuvre, puisqu’il en subsiste un manuscrit authentifié où il n’est aucunement fait mention de trompettes ni de timbales. À notre connaissance, l’exécution d’aujourd’hui pourrait bien être la première à tenir compte de l’arrangement original de Haydn! À souligner, le mouvement lent qui, grâce à l’ajout d’une flûte solo et à une écriture inventive, semble ouvrir la voie à quelques-uns des plus beaux moments d’intimité des futures Symphonies de Londres. Il était pour le moins inhabituel, à cette époque, de faire jouer un vent dans un mouvement lent : une fois de plus, Haydn allait à contre-courant! La flûte ne figure pas autant dans les œuvres de cette période; on rapporte que le flûtiste de la cour ayant été congédié pour braconnage, Haydn dut faire des miracles de diplomatie pour faire réembaucher le malheureux musicien!

La Trauersymphonie en mi mineur no 44, composée au début des années 1770, est peut-être sa plus belle de la période Sturm und Drang ; elle porte en effet une forte charge émotive du début à la fin, exception faite d’un merveilleux mouvement lent que Haydn, dit-on, demanda de jouer à ses funérailles. Le contrepoint intervient fréquemment dans le long premier mouvement et dans l’extraordinaire menuet, qui inclut un canon formel entre les lignes supérieure et inférieure. La finale est peut-être le mouvement le plus concentré et le plus dramatique de toute cette période : la tension, souvent quasi insoutenable, laisse l’auditeur sur une sensation d’épuisement.

La Symphonie no 49, La Passione, créée en 1768, est la dernière d’une suite de symphonies composées dans une forme ancienne basée sur la sonate d’église, qui s’ouvre avec un mouvement lent. Écrits dans la tonalité pessimiste et extrêmement rare (au XVIIIe siècle) de fa mineur, les quatre mouvements demeurent tous en mineur jusqu’à leur fin; seul, le trio laisse occasionnellement filtrer un rayon de soleil! Il n’est pas impossible que l’œuvre ait été écrite pour le Vendredi saint; elle fit une forte impression sur le monde musical du temps, si l’on se fie au nombre de copies manuscrites et de publications disponibles partout en Europe.

© Gary Cooper, 2008 / Traduction : Louis Rémillard.