Maria, Madre di Dio

Marie de Nazareth a été, dès les débuts du christianisme, une figure centrale de la piété populaire. En tant que mère de Jésus-Christ, elle est l’anti-Eve. Elle est celle qui dit «oui» à la proposition divine. Elle est l’instrument par lequel le salut de tous les hommes est rendu possible. Après le miracle de sa propre naissance – sa mère Anne était stérile – , et après celui de la Nativité, il y a la douleur déchirante de la crucifixion de son Fils. Vierge, mère, sœur, consolatrice, confidente, médiatrice, protectrice, ces divers visages de Marie ont varié selon la sensibilité et la spiritualité qui ont dominé à travers les siècles.

L’époque baroque, délaissant l’équilibre et la densité un peu statiques de la Renaissance, s’est inspirée de ce qui est contraste, de ce qui est en perpétuel mouvement, de la multiplicité des passions humaines. Au tournant de XVIIième siècle, le langage musical évolue et va aboutir, en Italie, à la monodie accompagnée, au stile rappresentative, (style représentatif). Du madrigal dramatique au drame musical, puis à l’opéra et à la cantate, c’est d’abord dans la musique profane que les compositeurs ont mis au point leur nouveau langage musical centré sur le dialogue et sur l’action dramatique, plus concrètement, sur le récitatif et sur l’aria. Puis ils ont naturellement utilisé ces nouveaux outils en les adaptant au contexte particulier du chant sacré, notamment dans les domaines de l’oratorio et de la cantate sacrée.

Ordonné prêtre en 1703, Antonio Vivaldi (1678-1741) obtint la même année la charge de maestro di violino à L’Ospedale della Pietà, l’un des quatre orphelinats pour jeunes filles que comptait Venise. En 1715, il occupait par intérim la fonction de maître de chœur, une lourde de tâche qui exigeait de lui, en plus de l’instruction des choristes, qu’il tienne l’orgue durant les offices et qu’il compose des messes, des oratorios, des motets, des hymnes, etc.

Mais, dès 1712, sa renommée lui valu la commande d’un Stabat Mater. Le texte du Stabat Mater est dû à la plume d’un franciscain du XIIIième siècle, Jacopone da Todi, bien que certains croient que cette séquence est plutôt l’œuvre de saint Bonaventure (1221-1274). La séquence comporte vingt versets, chantés intégralement dans l’ordonnance de la messe. Cependant, pour les deux fêtes de Notre-Dame des Sept Douleurs, qui ont lieu le 15 septembre ainsi que le vendredi précédent le dimanche des Rameaux, le Stabat Mater est utilisé en guise d’hymne. Les versets 1 à 10 sont chantés à l’office des vêpres, les versets 11 à 14 à celui des matines et les versets 15 à 20 à celui des laudes.

Le Stabat Mater de Vivaldi fut créé le 18 mars 1712, à l’église oratorienne Santa Maria de la Pace, à Brescia. Le compositeur, sans doute retenu par ses obligation à Venise, était absent. Selon H.C. Robbins Landon, «c’est la version la plus sombre du Stabat que connaisse l’histoire de la musique». Le miracle tient peut-être dans la chaleur du timbre de la voix d’alto, si chère à Vivaldi, au refus des effets spectaculaires de la partie vocale qui met le sens du texte au premier plan, aux effets dramatiques (harmoniques et rythmiques) de l’orchestre à cordes qui sont d’autant plus efficaces qu’ils sont empreints d’une certaine retenue. La structure formelle de l’œuvre est aussi frappante : la musique des trois premiers mouvements est reprise pour les mouvements quatre à six, alors que les trois derniers mouvements utilisent une musique originale, l’Amen final faisant montre d’une plus grande virtuosité, comme c’est la tradition.

En 1706, le jeune Georg Frideric Handel quitta Hambourg, où il était arrivé en 1704, pour réaliser son rêve: se rendre en Italie. Son périple, qui dura quatre ans, le mena à Florence, Rome, Venise et Naples, cités qui dominaient alors le monde musical italien. Il y fit la connaissance des compositeurs les plus importants de l’époque : Alessandro et Domenico Scarlatti, Caldara, Vivaldi et Albinoni. Ses talents exceptionnels d’organiste lui valurent rapidement l’admiration générale à Rome. Il ne tarda pas à rencontrer de puissants protecteurs en la personne des cardinaux Ottoboni, Colonna et Pamphili (qui qualifia Handel de «nouvel Orphée») et le marquis Ruspoli. Accueilli en invité à la prestigieuse Accademia Arcadiana (il était alors trop jeune pour en devenir membre), Handel composa plus d’une centaine de cantates pour ce cercle de l’élite cultivée, férue d’Antiquité, qui accueillait également des poètes et des musiciens, parmi lesquels se trouvaient A. Scarlatti et Corelli.

Pendant son séjour en Italie, surtout centré à Rome, Handel écrit un grand nombre d’œuvres religieuses dont un Dixit Dominus (avril 1707), un Laudate pueri Dominum (juillet 1707) et un oratorio : La Resurrezione (1708). Il composa aussi plusieurs cantates sacrées, sur des textes en latin ou en italien, dont un certain nombre sont destinées au culte marial, ce qui peut paraître paradoxal, puisque Handel était luthérien. Dans l’esprit des réformateurs protestants, si on reconnaît le mérite de la Vierge et des saints, on leur nie toute dévotion particulière, seuls Dieu, le Christ et l’Esprit-Saint devant faire l’objet de la dévotion du fidèle. Et lorsque l’un de ses protecteurs l’invita à embrasser la foi catholique, Handel rétorqua «qu’il ne se sentait pas qualifié pour entrer dans les discussions de cette sorte, mais qu’il avait l’intention de mourir dans la foi où il était né et fut élevé, fut-elle vraie ou fausse».

La cantate Ah! Che troppo ineguali, composée en 1708, résulte d’une commande du cardinal Colonna pour la célébration des fêtes de la Madonna del Carmine. Le fait que le texte implore la Reine des Cieux de ramener la paix sur la terre est peut-être relié au contexte de la guerre de Succession d’Espagne qui fait alors trembler plusieurs régions de l’Italie. Au traité d’Utrecht (1713) le duché de Milan et le royaume de Naples, jusque là possessions espagnoles passent sous la domination autrichienne. La cantate ne comporte qu’un récitatif suivi d’une aria da capo. Dans la première section de l’aria, il faut remarquer l’ampleur et la densité dramatique de la ritournelle instrumentale qui encadre la partie vocale, et le jeu riche des douloureuses dissonances. Dans la seconde section de l’aria, par contraste, il n’y a pas de ritournelle.

Alessandro Scarlatti (1660-1725) est sans contredit l’une des figures les plus marquantes de l’époque baroque. Il a joué un rôle déterminant dans l’évolution de l’opéra, de l’oratorio et de la cantate. De plus, il a été un compositeur incroyablement prolifique : une centaine d’opéras, une quinzaine de messes, une trentaine d’oratorios et plus de 600 cantates! L’essentiel de sa carrière s’est déroulée à Naples et à Rome.

Le Salve Regina date du XI ième siècle. Il est attribué tantôt à Hermanus Contractus, moine à l’abbaye de Reichenau, tantôt à Adhémar de Monteil, évêque du Puy. Dès 1140, il fait partie de l’antiphonaire cistercien. Saint Bernard de Clairvaux le complète en lui ajoutant la triple invocation finale O clemens, o pia, o dulcis Virgo Maria. On le chante à la fin de l’office de complies.

Scarlatti nous a laissé pas moins de cinq mises en musique du motet Salve Regina, dont une version pour deux voix, violons et basse continue. Le manuscrit porte la date de février 1703. L’œuvre, divisée en six mouvements relativement brefs, est un véritable oratorio miniature : chacune des parties s’illumine d’un éclairage qui contraste avec ce qui précède ou avec ce qui suit, en parfait accord avec le caractère dramatique des mots. Musicalement, Scarlatti se sert de toutes les astuces utilisées dans l’opéra : effets harmoniques imprévus, dissonances, vocalises, cadences, points d’orgue, alternance des couleurs vocales, etc. Spectacle peut-être, mais spectacle totalement tourné vers l’intériorité.

La cantate Il pianto di Maria a toujours, jusqu’à récemment, été attribuée à Handel. Cependant, des recherches récentes ont démontré qu’elle était l’œuvre du compositeur d’origine vénitienne Giovanni Battista Ferrandini (v. 1710-1719). Ferrandini commença ses études musicales à Venise avec Antonio Biffi, mais il partit très jeune pour la cour de Munich, où il passa la plus grande partie de sa vie. Ainsi, en 1722, il était hautboïste à la cour du duc Ferdinand. En 1732, il obtint le poste de compositeur de l’électeur Karl Albrecht. Sa renommée en tant que compositeur d’opéras était telle que son Catone in Utica fut choisi pour inaugurer le nouvel Opéra de Munich en 1753. En 1755, il quitta Munich pour Padoue, pour des raisons de santé. C’est dans cette ville qu’il reçut la visite de Leopold Mozart et du jeune Wolfgang en 1771.

La cantate Il pianto di Maria a vraisemblablement été composée en 1735. On ne connaît pas le nom de l’auteur du poème mais, de toute évidence, celui-ci s’est inspiré du texte du Stabat Mater. Outre les arias da capo habituelles, Ferrandini utilise la cavatina, qui est une sorte d’aria en deux sections, sans répétitions, souvent interpolée à l’intérieur d’un récitatif. Or, ici, la cavatina est suivie d’un récitatif, après lequel est reprise la cavatina, donnant à cette section la forme d’une ample aria da capo. Ferrandini utilise alternativement le recitativo secco (accompagné de la seule basse continue) et le recitativo accompagnato (accompagné de l’ensemble instrumental). L’œuvre, au lieu de se terminer sur une aria, s’achève sur un récitatif accompagné agité qui laisse l’auditeur quelque peu ébranlé, émotion qui cadre parfaitement avec l’image finale du texte, où le Christ vient de pousser son dernier soupir, entouré de voleurs, au moment où la terre tremble.

© Mario Lord, 2003

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