REBEL – Les Plaisirs champêtres

Jean-Féry Rebel naquit le 18 avril 1666 . Son père, Jean Rebel (1636-1692) était chanteur à la Chapelle royale. Jean-Féry était âgé de huit ans quand Lully remarqua ses dons précoces pour la musique. Il lui enseigna le violon et la composition. Fort de l’appui d’un aussi puissant protecteur, la carrière du jeune Rebel progressa rapidement. Dès 1699, il fut premier violon à l’Opéra. En 1705, il devint membre des Vingt-quatre Violons du roi. Il assuma la charge de batteur de mesure (chef d’orchestre) à l’Académie royale de musique à partir de 1720. Il occupa aussi, en partage avec son beau-frère Delalande, la charge de compositeur de la Chambre à partir de 1718.

Rebel publia trois livres de sonates et de suites pour violon. Il composa, en collaboration avec Delalande des Leçons de ténèbres, aujourd’hui perdues. Il écrivit une vingtaine d’airs parus dans divers Recueils d’airs sérieux et à boire, parus entre 1695 et 1708. Il composa une tragédie lyrique, Ulysse, qui fut créée en 1703 mais qui ne connut pas un grand succès. Par contre, la qualité de sa musique de danse fut reconnue de tous. Jean-Féry Rebel mourut le 2 janvier 1747.

Alors que l’opéra-ballet et la tragédie lyrique dominaient la scène musicale, un nouveau type de spectacle de danse fit son apparition au tournant des années 1720 : le ballet-pantomime. Appelé aussi ballet d’action ou ballet en action, cette nouvelle forme d’expression, complètement affranchie de l’art lyrique, avait pour but de raconter une histoire ou de dépeindre des passions uniquement par l’intermédiaire des pas de danse ou des gestes seuls.

C’est en 1711 que Rebel composa son premier ballet, Caprice, qui fut dansé par la grande Françoise Prévost (1680-1741). Celle-ci était danseuse seule (danseuse soliste) à l’Opéra de Paris depuis 1705. Elle était admirée autant pour sa maîtrise technique que pour l’expressivité de ses chorégraphies. Un de ses admirateurs, le maître à danser Pierre Rameau écrira à son sujet, en 1725, que «dans une seule de ses Danses sont renfermées toutes les règles qu’après de longues méditations nous pourrions donner sur notre Art». Elle se retira en 1730. Sa fille Anne épousa François Rebel, le fils de Jean-Féry, en 1733.

Le ballet Caprice ne comprend que deux mouvements qui ne portent pas de noms de danses. La première partie, Gravement, est d’abord construite sur des gammes descendantes, traitées en imitation, suivie par une seconde section qui fait entendre des gammes ascendantes en valeurs plus longues. C’est le calme avant la tempête… Dans le mouvement suivant, noté Vivement, d’énergiques sections homorythmiques font place à des sections dominées par d’étourdissants trémolos des premiers violons joués en doubles cordes.

Le deuxième ballet de Rebel, Les Caractères de la Danse, fut créé à Paris en 1715. L’interprétation inspirée de Mlle Prévost contribua grandement à l’immense succès que connut cette œuvre, qui fut redonnée à de multiples reprises, notamment par Marie Sallé et Marie -Anne Cupis de Camargo, les deux plus illustres élèves de Françoise Prévost.

Marie Sallé (v.1707-1756) était une enfant de la balle : en effet, son père dirigeait une troupe de comédiens ambulants. Elle fit sa première apparition à l’Opéra-Comique en 1718, puis à l’Académie royale de danse en 1721. Elle fut sur la scène de l’Opéra de Paris de 1727 à 1740. Elle fit également quelques tournées à Londres. C’est dans cette ville, en 1725, qu’elle exécuta Les Caractères de la Danse en solo, sous la direction de Handel. Deux ans plus tard, elle retourna en France. Le 8 mars 1729, elle et Antoine de Laval (1688-1767) reprirent cette œuvre et firent preuve d’audace en se présentant sur scène en habit de ville et sans masque. Lors de la création de son Pygmalion à Londres, en 1734, Sallé poussa l’audace encore plus loin : elle abandonna perruque et robe à paniers pour revêtir une tunique à la grecque. Une nouveauté qui fit sensation ! Ses nombreuses innovations annonçaient déjà le ballet romantique. Le style gracieux de Marie Sallé faisait passer l’expression avant les prouesses techniques. Jean-Georges Noverre (1727-1810), la jugera ainsi :« Sa physionomie était noble, expressive et spirituelle. Sa danse voluptueuse était écrite avec autant de finesse que de légèreté. Ce n’était point par bonds et par gambades qu’elle allait au cœur».

Tout autre était le tempérament de Marie-Anne Cupis de Camargo (1710-1770). Celle-ci, technicienne exceptionnelle, se spécialisait dans les danses vives : sa virtuosité et son brio séduisaient à tout coup le public. La première, elle exécuta des sauts jusque-là réservés aux hommes. En raison de la hauteur et de l’amplitude de ses sauts, elle aurait inventé l’ancêtre du collant, appelé pudiquement le «caleçon de protection». La Camargo, comme on la surnommait, fit ses débuts à l’Académie royale de musique, le 5 mai 1726, dans Les Caractères de la Danse. Sa brillante prestation lui valut le succès immédiat… et la jalousie de Françoise Prévost ! Née à Bruxelles, elle fut naturalisée française en 1734. À l’exception de quelques périodes d’interruptions entre 1734 et 1740, Camargo sera active jusqu’en 1751.

«Ah ! Camargo que vous êtes brillante, Mais que Sallé, grands dieux, est ravissante ! Que vos pas sont légers et que les siens sont doux ! Elle est inimitable et vous êtes nouvelle : Les Nymphes sautent comme vous, Mais les Grâces dansent comme elle.»

Les Caractères de la Danse est une œuvre originale. Elle s’ouvre sur un gracieux Prélude auquel s’enchaîne sans interruption un condensé des mouvements de danses les plus populaires à l’époque. Fait curieux, Rebel a intercalé une Sonate entre la Gavotte et la Loure. Une autre Sonate termine l’œuvre. Ces deux sonates, davantage portées sur la virtuosité, sont écrites dans le style italien.

Le ballet La Terpsicore, comme son nom l’indique, fut composé en l’honneur de Terpsichore, la Muse de la danse. Cette œuvre date de 1720. Rebel l’a dédiée à l’épouse de John Law (1671-1729), le financier d’origine écossaise qui occupait alors la fonction de surintendant des Finances. L’œuvre s’ouvre sur un tutti agité auquel Rebel a donné le titre pittoresque de Bruit. Celui-ci fait place à une section qui prend l’apparence d’un mouvement rapide de concerto. Suivent deux Siciliennes en forme de rondeaux. Le ballet se termine sur une Gigue (une danse originaire des îles Britanniques) qui porte le titre de Langloise (L’Anglaise) : il s’agit d’une autre façon galante de rendre hommage à la dédicataire de l’œuvre. Les derniers mouvements sont écrits dans le style du concerto grosso, dont Rebel a francisé la terminologie : tous, pour tutti ; petit chœur pour concertino.

La Fantaisie fut composée en 1729. Le Grave introductif cède sa place à une Chaconne d’une ampleur inhabituelle. Deux sections d’allure martiale, qui contiennent quelques mesures confiées à la trompette, encadrent un épisode central d’allure bucolique, où la flûte prend le relais. Après une Loure élégante et un Tambourin bien rythmé, auquel se sont ajoutées les flûtes allemandes et les petites flûtes, le ballet prend fin sur une Chaconne qui réutilise le matériel de la première Chaconne.

Outre une Chaconne centrale plus majestueuse, c’est bien l’univers de bergers évoluant dans un cadre bucolique que recréa Jean-Féry Rebel dans les danses qu’il réunit dans Les Plaisirs champêtre, écrit en 1734. Hautbois, bassons et flûtes joignent leurs sonorités chaleureuses aux cordes. Tout comme pour la Fantaisie, peu de détails sur les conditions de l’exécution de cette œuvre nous sont parvenus.

Jean-Féry Rebel avait plus de soixante-dix ans lorsqu’il composa, en 1737, sa dernière œuvre, le ballet Les Elemens (Les éléments). Celui-ci débute par l’un des morceaux les plus étonnants de tout le répertoire baroque, intitulé Chaos. Rebel, bien conscient de la hardiesse de cette pièce, joignit à la partition imprimée de son œuvre, dédiée au prince de Carignan, un Avertissement où il expliquait avec force détails sa démarche.

Selon Rebel, le Chaos, c’est « cette confusion qui régnait entre Les Elemens avant l’instant où assujettis a des lois invariables, ils ont pris la place qui leur est prescrite dans l’Ordre de la Nature». Il décrit également comment il s’y est pris pour illustrer musicalement le Chaos originel : «J’ay osé entreprendre de joindre à l’idée de la confusion des Elemens celle de la confusion de l’Harmonie. J’ay hasardé de faire entendre d’abord tous les sons mêlés ensemble, ou plustost toutes les notes de l’octave réunies dans un seul son». Voilà bien le premier cluster de l’Histoire de la musique ! Le thème du Chaos revient sept fois, et chaque fois le combat entre les éléments perd en intensité. Le Chaos se termine sur la consonance parfaite, l’octave. Chacun des éléments est représenté musicalement : la terre par les notes liées de la basse ; l’eau par les traits ascendants et descendants de la flûte ; l’air par les longues notes tenues qui se concluent par les trilles des petites flûtes ; le feu par les traits rapides des violons.

Les premiers mouvements de la suite Les Elemens proprement dite conservent cette représentation musicale : l’Air pour les violons (La Terre) ; l’ Air pour les flûtes (L’Eau, également figurée par le premier Tambourin ); la Chaconne (Le Feu) ; le Ramage (L’Air). Après les Rossignols, suivent des danses caractéristiques.

Cette œuvre représente parfaitement l’idéal esthétique de l’époque baroque, à savoir que le fondement de tous les arts, y compris la musique, est l’imitation exacte de la nature.

Mario Lord, 2006..