She’s Sweetest when she’s naked

Le début de mon exploration de la musique écossaise du dix-huitième siècle remonte déjà à plusieurs années. Imprégnée du répertoire baroque se prêtant le mieux à mes instruments, j’ai toujours été à la recherche d’une sorte de « festin » musical de nature plus ésotérique et, à titre de Canadienne de première génération dont les ancêtres étaient originaires de Glasgow et de Dundee, cette quête avait sans doute quelque chose de génétique. Mais, je trouvais surtout bon nombre de vieilles pièces écossaises fort belles et émouvantes, qualités tout aussi admirées de nos jours qu’elles pouvaient l’être au dix-huitième siècle. Je me demandais comment ces airs pouvaient avoir été joués il y a trois siècles et quelle autre musique avait été composée pour flûte et flûte à bec. Cet enregistrement offre un petit échantillon du répertoire que j’ai découvert; j’espère que vous aurez autant de plaisir à l’écouter que mes collègues et moi en avons eu à l’interpréter.

Comme il semble que ce fut le cas dans la plupart des pays de l’Europe de l’Ouest, l’écart entre l’« art » et la musique traditionnelle de l’Écosse du dix-huitième siècle n’était pas si grand ou infranchissable qu’il l’est devenu au début du 20e siècle. Plusieurs musiciens écossais, tel John Clerk de Penicuik, qui a étudié avec Corelli à Rome à la fin des années 1600, ont composé dans un style typiquement baroque et ont écrit des sonates, divertimentos et motifs d’inspiration italienne ou française. La plupart d’entre eux étaient aussi familiers avec la musique traditionnelle écossaise, tant vocale qu’instrumentale, et plusieurs ont tenté de marier les deux styles avec plus ou moins de succès.

Il était alors plus fréquent d’arranger des airs traditionnels dans un style « savant », en y ajoutant des parties de basse chiffrée et/ou des lignes mélodiques secondaires; même les compositeurs originaires d’autre pays résidant alors en Écosse, tels Barsanti, Schetky et Corri, ont adopté cette approche. Des adagios rappelant des airs lents écossais et des allegros rappelant des quadrilles peuvent parfois être retrouvés dans les sonates de John Reid, James Oswald et autres compositeurs, donnant ainsi une saveur écossaise distincte à ce qui autrement ressemblerait à s’y méprendre à des œuvres d’inspiration typiquement italienne.

La constitution d’une collection d’airs écossais a débuté au 17e siècle, mais elle a vraiment pris son essor suivant l’union de l’Écosse à l’Angleterre en 1707. La perte de leur propre parlement a incité les Écossais à protéger leur héritage culturel de toutes les façons possibles et, assez ironiquement, la musique écossaise est devenue extrêmement populaire en Angleterre. Pendant plus d’un siècle, la demande en musique vocale et instrumentale écossaise a suscité d’importantes activités de publication en Écosse, en Angleterre et à l’étranger – les arrangements de chansons écossaises faits par Haydn et Beethoven comptent parmi les exemples les plus célèbres. De grandes collections ont vu le jour, telles le Scots Musical Museum de Robert Burn et les Caledonian Pocket Companion de James Owwald, ainsi que d’autres collections de MacIntosh, McGibbon, Baillie, Foulis, Erskine, Macklean, Watson, Bremner, Ramsey, Rick, Craig, Campbell, Schetky et beaucoup d’autres.

La plupart de ces pièces étaient écrites pour voix et violon et plusieurs d’entre elles n’incluaient que les mélodies, parfois accompagnées de variations. Le Scots Musical Museum et plusieurs autres publications incluaient les textes des chansons et des parties de basse chiffrée; d’autres offraient des airs lents sans paroles, mais accompagnés d’une ligne de basse chiffrée pour clavecin ou autres instruments. Il faut cependant ajouter que l’application de règles « savantes » d’harmonie et de métrique, sans oublier l’accord et le caractère, altère substantiellement la nature de ces airs : jouer à partir de ces arrangements produisait donc un effet on ne peut peu plus éloigné de l’interprétation « traditionnelle ».

En ce qui concerne la musique écrite spécialement pour flûte, un instrument à vent très populaire tout au long du dix-huitième siècle, les premières sonates furent composées par Munro, Macklean, John Reid et Barsanti; Oswald a pour sa part composé une série de divertimentos, alors que des séries de duos pour flûtes furent composées par McGibbon, Schetky, Montgomery, Muschat, Oswald et d’autres.

James Oswald fut l’un des phares de l’Écosse au 18e siècle; il débuta sa carrière dans sa ville natale de Dunfermline et à Édimbourg avant de déménager à Londres en 1741. Compositeur de chambre attitré de George III en 1761 et membre de la Société du Temple d’Apollon, il a œuvré à titre de musicien, compositeur, professeur et éditeur de musique. Son Caledonian Pocket Companion, publié approximativement entre 1742 et 1759, était constitué d’une collection de plusieurs volumes d’airs écossais pour violon et flûte solo. Les variations sur les airs sont souvent incluses, particulièrement dans les premiers volumes. Parmi les pièces composant le CPC, quarante-sept ont aussi été publiées avec parties de basse chiffrée vers 1742 (une édition moderne est disponible chez Ut Orpheus, Bologne). Cet enregistrement comporte sept airs pour soliste extraits du CPC, ainsi qu’une huitième pièce (Greensleeves) dont les arrangements ont été faits par mes collègues. « A rock and a wee pickle Jon », « Lovely Nancy » et « ; « The Braes of Ewes » est un air composé par Oswald lui-même.

James Oswald a aussi composé plusieurs œuvres pour divers instruments, y compris deux grandes séries de sonates intitulées « The Seasons ». Chaque « saison » comporte plusieurs sonates brèves, chacune portant le nom d’une fleur ou d’une plante particulière. Les pièces sélectionnées pour cet enregistrement proviennent de la deuxième série publiée en 1747. J’ai ainsi découvert de rares spécimens : l’Achillée ptarmique est une sorte d’herbe à éternuer jadis utilisée comme substitut au tabac à chiquer ou à priser; le Duck’s Foot est plus couramment connu sous le nom de pomme de mai, alors que les Fleurs de bruyère comptent parmi les plus belles fleurs sauvages du Nord du Royaume-Uni.

Les deux sonates brèves et mélodieuses de Charles Macklean ont été choisies parmi les quatre qu’il a composées pour flûte qui se retrouvent dans ses « Twelve Solo’s or Sonata’s », op. 1, publiés à Édimbourg en 1737. Ce compositeur qui a travaillé à Montrose, Aberdeen et Édimbourg, a aussi arrangé un certain nombre d’airs traditionnels faisant partie d’une collection publiée après sa mort, en 1770.

« Ground after the Scotch Humour » de Nicola Mattei est extrait de ses « Ayrs for the Violin » (1685). Mattei était un brillant violoniste napolitain qui débarqua à Londres vers 1670. Au cours des premières années où il y a vécu, il ne s’est produit que très peu, supposément parce qu’il était « incroyablement fier », mais Evelyn l’a plus tard qualifié de « prodigieux », alors que North et Burney le considéraient comme un second Corelli.

On ne sait que très peu de choses sur Alexander Munro, dont la « Collection of the Best Scots Tunes Fited [sic] to the German Flute With Several Divisions & Variation » fut publiée à Paris en 1732. La collection comporte douze airs bien connus, chacun ayant un groupe de variations et une ligne de basse chiffrée. «Fy gar rub her over wi’ strae » est l’un des plus longs exemples, offrant un groupe de divisions de la mélodie originale suivie de plusieurs versions de l’air selon diverses formes de métrique, tempi et danse. Le texte de la chanson originale chante les louanges de la récolte des foins alors que le soleil brille, « afire auld age your vitals nip », d’une façon fort peu conformiste. « Fy gar » semble être une expression familière d’Aberdeen signifiant « dépêche-toi ».

Cet enregistrement comporte des séries d’airs lents incluant des arrangements pour basse chiffrée du 18e siècle de Barsanti et Edward Miller. Né à Padoue, Francesco Barsanti, qui a vécu à Édimbourg de 1735 à 1743, davantage connu des joueurs de flûte à bec/flûte pour ses sonates, a adapté plusieurs airs lents écossais selon divers arrangements à des fins d’interprétation vocale et instrumentale.

« The Braes of Ballandyne » est extrait de la méthode d’apprentissage de la flûte d’Edward Miller datant de 1799.

La collection du capitaine Simon Fraser « The Airs and Melodies Peculiar to the Highlands of Scotland and The Isles » a été réunie entre 1715 et 1745, mais ne fut imprimée qu’en 1816. Les chansons gaéliques interprétées à la manière de ses ancêtres comportaient des arrangements très simples pour clavier, afin de les rendre accessibles au plus grand nombre possible d’amateurs de musique. Les accompagnements que nous avons enregistrés, créés par mes collègues, sont, je crois, plus imaginatifs que ceux de Fraser.

Deux airs composés par les membres de l’illustre famille Gow – célèbres violoneux qui marquèrent à leur manière l’Histoire musicale écossaise, sont aussi inclus dans cet enregistrement, par simple respect de leur grande influence.

« Bannocks of Beer Meal » est une mélodie que l’on retrouve dans de nombreuses collections et dont les variations proviennent des manuscrits d’airs écrits pour petits pipeaux de Northumbrie. Bewick fut un célèbre joueur de pipeau du début du dix-neuvième siècle; il a aussi produit de superbes gravures sur cuivre.

La dernière pièce du CD provient d’une collection anonyme du 18e siècle de la Bibliothèque nationale d’Écosse à Édimbourg (MS 2833).

© Alison Melville, 2004 traduction : Marlène Clavet pour L’ouvre-mots

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