TELEMANN – Six Concertos

Les concertos pour flûte et clavecin de Telemann

La date exacte ainsi que le lieu de la première publication du recueil des Six Concerts et Six Suites à Clavessin et Flûte traversière, ou à Clavessin, Traversière et Violoncello, ou à Violon, Traversière et Violoncello ou Fondement, ou à Clavessin, Violon, Traversière et Violoncello faits par Telemann demeurent un mystère. Malgré un consensus autour de la « seconde » publication de 1734 à Hambourg, certains musicologues avancent que la première publication, qui, soulignons-le, ne comporte aucune indication sur le lieu et la date de création du recueil, pourrait se situer autour de 1715-1720 à Hambourg. Bien que Telemann n’ait pas encore été nommé Kantor à la Johanneum Lateinschule de Hambourg à cette époque, il entretient déjà de nombreux liens avec cette ville où plusieurs de ses œuvres ont déjà été entendues. C’est d’ailleurs ce qui laisse croire que le recueil aurait pu y être publié. Ce qui est certain toutefois, c’est que Telemann obtiendra officiellement le poste de directeur musical des cinq églises de la ville le 17 septembre 1721 en plus de recevoir le poste de Kantor à la Johanneum Lateinschulele 16 octobre suivant.

La version officielle du recueil, publiée en 1734 à Hambourg, est composée de quatre cahiers (un pour chaque instrument proposé par Telemann) et porte le titre français de VI Concerts et VI Suites à Clavessin concertant, Flûte traversière et Violoncello, etc ; par Telemann. Afin que faute d’un Joüeur du Clavessin assés habile, cette Musique soit néanmoins praticable, l’on transformera le Clavessin en un Violon, qui sera séparément imprimé et l’on ajoutera des chiffres au Violoncello. Cette version, qui passe pour être une seconde édition, utilise les mêmes plaquettes d’impression que la première version non datée sauf pour ce qui est des pages 1 et 17, rendues inutilisables par l’usure, ainsi que pour la page titre où les différentes combinaisons d’instruments sont remplacées par un simple « etc. ». Publié de nouveau en version allemande à Hambourg en 1735, le recueil conservera le titre de la version française de 1734 ainsi que les quelques modifications apportées au texte par Telemann qui a vraisemblablement supervisé l’impression du recueil.

À la lumière des deux versions connues des Six Concerts et Six Suites…, il apparaît que l’intention première de Telemann était d’écrire ces œuvres pour le clavecin et la flûte traversière. Ce n’est que pour respecter la logique de l’époque qu’il aurait fourni, dans le cadre de la première version non datée, une série d’instrumentations auxquels il est possible de les destiner. Ce n’est d’ailleurs pas une décision inusitée de la part du compositeur que de proposer différentes combinaisons pour une même œuvre, Telemann l’ayant déjà fait pour la Kleine Kammermusik (1716) par exemple. Toutefois, le fait qu’il en propose quatre dans ce cas-ci exprime un besoin évident de rendre ces pièces accessibles au plus grand nombre possible. Ce qu’il faut surtout remarquer, c’est que les divers types d’instrumentations proposées par Telemann conservent néanmoins la caractéristique première de l’ensemble, soit celle d’être conçu pour deux voix supérieures et une voix de basse, l’ajout du violoncelle servant simplement à renforcer cette dernière.

L’analyse formelle et stylistique du recueil révèle quelque peu la personnalité « éclectique » de Telemann en ce qui concerne la forme et le style alors qu’il n’hésite pas à mélanger des éléments français et italiens, particulièrement dans le cas des Suites de l’ensemble. Aussi, l’utilisation du terme « Concerts » employé par Telemann pour désigner les quatre œuvres au programme mérite une explication pour éviter toute confusion. Celui-ci sert essentiellement à faire ressortir le caractère concertant de ces pièces où l’on retrouve un amalgame d’éléments de la sonate en trio et de la sonata da chiesa, un genre que Telemann affectionnait particulièrement. Les Concerts se rapprochent d’ailleurs beaucoup de ce dernier genre par la succession typique de quatre mouvements de tempo contrastant (lent-vif-lent-vif) ainsi que par leurs appellations italiennes (Largo, Vivace etc. ).

En ce qui concerne l’analyse stylistique, on constate dans les premiers mouvements des quatre Concerts que les deux voix de dessus s’imitent plutôt qu’elles ne se soumettent l’une et l’autre. Dans les deuxièmes mouvements, on ne peut manquer de noter les nombreux passages de style fugué ainsi que les successions de courts motifs mélodico-rythmiques. Les troisièmes mouvements laissent tomber les passages en imitation que l’on retrouve à profusion dans les premiers mouvements au profit d’intervalles parallèles de tierces et de sixtes. En ce qui concerne les quatrièmes mouvements, ils sont fortement inspirés des mouvements conclusifs propres aux anciennes sonates en trio et empruntent du même coup certains éléments aux mouvements de danse (répétition du thème principal plus ornementé par exemple).

Il serait donc faux de voir ces Concerts comme des concertos de style italien pour flûte et orchestre retranscrits pour flûte et clavecin tout comme il serait faux d’y voir des concertos pour solistes. En effet, on constate qu’il n’y a pas véritablement de contrastes entre ce qu’on pourrait nommer les soli et les ritornelli. Un seul cas apparaît dans le troisième mouvement (Larg) du premier concerto où quelques passages « solistes » ne sont pas sans rappeler la forme du concerto de soliste vivaldien. Il n’en demeure pas moins que nous avons affaire ici à des concertos écrits pour deux instruments concertants et obligés, qui plus est pour le clavecin et la flûte traversière.

© Jean-Claude Thériault, 2001

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