MOZART – Quatuors pour flûte, violon, alto et violoncelle

Les quatuors pour flûte de Mozart

Pour un compositeur qui prétendait ne pas pouvoir «souffrir» la flûte, Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) a laissé un corpus d’œuvres on ne peut plus séduisantes comprenant entre autres quatre quatuors pour flûte, violon, alto et violoncelle de caractères étonnamment contrastés.

Les deux premiers (K. 285 et 285a) datent du séjour que Mozart fit à Mannheim de novembre 1777 à mars 1778. Après les nombreuses tournées de l’enfant prodige et ses trois voyages de formation en Italie, son père jugea qu’il était temps pour Wolfgang de trouver une situation digne de son talent. Il organisa donc un nouveau périple dans le but cette fois de conquérir Paris, le centre culturel de l’Europe. Léopold aurait bien voulu accompagner encore une fois son fils, mais leur maître, l’archevêque de Salzbourg, jugea qu’à plus de 20 ans, Mozart fils était en âge de voyager seul et le père fut sommé de rester à la cour et d’y remplir ses fonctions. Léopold confia donc à sa femme Anna Maria le soin de chaperonner leur fils car, en dehors de son talent musical, il n’avait aucune confiance en lui.

Sur le chemin de Paris, Mozart et sa mère s’arrêtèrent à Mannheim, une ville du Palatinat où le prince-électeur Karl-Théodore, exemple parfait du despote éclairé, de l’aristocrate cultivé nourri par l’esprit des Lumières, avait élu domicile. En quelques années, il avait fait de Mannheim un centre culturel majeur. On y trouvait entre autres l’un, sinon le meilleur orchestre d’Europe, celui qui fut au cœur des grandes transformations esthétiques (forme-sonate, symphonie, dynamiques progressives comme le crescendo, etc.) qui marquèrent le passage du Baroque au Classicisme.

Le fameux orchestre de Mannheim était si célèbre que l’on venait d’un peu partout pour l’entendre. C’est ainsi qu’au moment où Mozart arrive en ville, s’y trouvait déjà un certain Willem van Britten Dejong, armateur hollandais ayant fait fortune aux Indes et flûtiste amateur de talent qui aimait commander des œuvres pour son instrument de prédilection aux compositeurs qu’il admirait, afin de les jouer lui-même lorsqu’il tenait salon.

Dès son arrivée, Mozart s’était lié d’amitié avec les musiciens de l’orchestre qui avaient immédiatement reconnu en lui un talent hors du commun. Et, comme il le relate dans une lettre à son père (10 décembre 1777), c’est par l’entreprise de Wendling, flûtiste de l’orchestre depuis 1750, qu’il fut mis en relation avec Dejong (que les musiciens surnommaient entre eux «l’Indien») : «L’autre jour, je suis allé chez Wendling pour le déjeuner. Il me dit que notre Indien (c’est un Hollandais qui vit de ses rentes, un amateur de toutes sciences, mon grand ami et admirateur) est vraiment un homme extraordinaire. Il est prêt à vous donner 200 florins si vous lui composez trois petits concertos, faciles et courts, et quelques quatuors avec flûte.»

Une semaine plus tard (lettre du 18 décembre), Mozart annonce à son père qu’il aura «bientôt terminé un quartetto pour le Hollandais indien» et, effectivement, l’autographe du Quatuor en ré majeur (K. 285) est daté de la semaine suivante, veille de Noël. Ce quatuor en trois mouvements vif-lent-vif porte la marque de l’enthousiasme qui animait Mozart à son arrivée à Mannheim. Composé dans le style galant, il s’agit presque d’un concerto de chambre dans lequel la flûte joue le rôle de soliste et les trois cordes, celui de l’orchestre accompagnateur. Le mouvement lent central, dans la tonalité de si mineur, rare chez Mozart, déploie en de belles arabesques une nostalgique cantilène sur un accompagnement tout en pizzicati.

Mais, milieu février, Mozart n’a toujours pas complété la commande et tente de se justifier auprès de son père : «Il n’y a rien d’étonnant à ce que je n’aie pas terminé la commande puisque je n’ai pas une heure de tranquillité. Je ne peux écrire que la nuit et ne peux donc me lever tôt. Et on n’est pas toujours disposé à travailler. Je pourrais bien sûr gribouiller toute la journée, mais une telle chose doit parcourir le monde et je ne veux pas avoir à rougir qu’elle porte mon nom. Et puis, vous savez que je répugne à écrire pour un instrument que je ne puis souffrir. J’ai donc composé, pour changer, autres choses…» (lettre du 13 février).

Deux jours plus tard, Dejong quittait Mannheim pour Paris. Sachant que Mozart devait s’y rendre bientôt lui aussi, il lui paya la moitié du cachet promis, s’engageant à lui verser le reste lorsque la commande serait complétée. Le fût-elle jamais? La chose n’est pas certaine. Mais au moins deux concertos (K. 314 et 315) et un autre quatuor (K. 285a) semblent découler de cette commande. Formé de seulement deux mouvements, le Quatuor en sol majeur, K. 285a ne nous est parvenu que par une copie d’une main étrangère datant de 1792, juxtaposant ses deux mouvements au premier du quatuor précédent. De prime abord, ce second quatuor semble moins intéressant. Ses deux mouvements sont tous les deux dans la même tonalité, à trois temps, de vitesse et de longueur similaires. Mais une écoute attentive permettra de saisir dans ce diptyque de subtils contrastes d’instrumentation et de couleur harmonique.

Parce qu’il est lui aussi en deux mouvements, on a longtemps cru que le Quatuor en do majeur, K.285c faisait lui également partie de la commande de Dejong. Mais l’unique source est une édition semble-t-il publiée à l’insu de Mozart en 1788. De plus, on a retrouvé certains éléments du premier mouvement dans les esquisses de L’Enlèvement au Sérail datant de 1781 et le second mouvement semble un arrangement du thème et variations d’une sérénade pour 13 instruments à vent (K.360/370a) datant de la même époque. C’est pourquoi en s’entend pour dire qu’il s’agit d’une œuvre appartenant au début de la période viennoise.

Quant au Quatuor en la majeur, K. 278, il s’agit d’une de ces bouffonneries musicales dans lesquelles Mozart s’amusait à caricaturer les travers de certains de ses collègues. Le premier mouvement, Andantino, reprend le thème d’un lied de F.A. Hoffmeister, An die Natur. Le menuet suivant s’inspire d’une vieille chanson française au titre loufoque, Il a des bottes, des bottes, Bastienne, et Mozart s’y moque du manque d’imagination harmonique de certains de ces contemporains en ne faisant qu’esquisser de timides débuts de modulation dans les trios. Dans le rondeau final, qu’il s’est amusé à orthographier «Rondieaoux» et à surcharger d’indications de style contradictoire (Allegretto grazioso, ma non troppo presto, pero non troppo adagio ; cosi – cosi – con molto garbo ed espressione), Wolfgang reprend une mélodie d’un opéra de Paisiello, Le gare generose. L’opéra ayant été présenté à Vienne en 1786, ce dernier quatuor ne peut donc précéder cette date et il y a tout lieu de croire qu’il fut composé pour les Jacquin, les meilleurs amis de Mozart à cette époque, des mélomanes avertis qui, lors de leurs soirées musicales, aimaient particulièrement que Mozart leur apporte ce genre de plaisanteries.

©2001 Guy Marchand, pour Traçantes, service de recherche, de rédaction et de traduction de la Société québécoise de recherche en musique.

.